Avant de vous parler de la couleur de ma voile pour la saison 2014 et des nombreuses compétitions au programme, j'ai un brouillon resté en suspens que je souhaite publier, car des brouillons, j'en ai des paquets. Dans le TGV, j'ai parfois du mal à me concentrer sur ce que je devrais lire ou apprendre pour mes études. J'évite le siège côté fenêtre pour ne pas être tenté de laisser mon regard se poser sur les paysages, mon esprit divaguer.. Parce que souvent, quand mon esprit s'élance, il va loin, se perd en chemin et revient difficilement.

Je repensais à ces 4 pénibles heures de marche lors de la première manche des Championnats du Monde en Bulgarie, dont 3 le long des rails. Perdu au milieu de la brousse avec mon compagnon de cordée; un pilote tchèque, le soleil à l'horizon, de la forêt sur des hectares, le blé au niveau des hanches avec en main une carte aussi précise que pourrait être hache pour se trancher une veine. Avant d'en arriver là, on avait le choix entre attendre de mourir de faim ou décider de trouver notre chemin au plus vite en espérant rectifier le sort demain. Enfin, une chose après l'autre. 1 : rentrer. 2 : ne pas s'esquinter. Après maintes réflexions, la solution qui n'était certainement pas la meilleure s'est imposée à nous : suivre les rails du train. En route alors... A quoi je pensais pendant que mes 25 kg de matos tiraient sur mes trapèzes et écrasaient péniblement mes lombaires ? Au prix d'une paire de Salomon ! 100m sur les rails et j'avais déjà arraché 2 crampons... J'évitais tout simplement de penser aux conséquences sûrement désastreuses de cette première manche, au nombre de pilote au goal, à mon erreur, à un championnat du monde raté, à la fatigue de demain, à, à .... à tout ce qui tournait bien en rond au fin fond de mon cerveau, les salomons, c'était juste pour éviter d'alourdir mes pas d'une boite crânienne remplie.

Mon camarade était plutôt silencieux, quoi que surprenant ... Si je connais ce film qui parle d'un homme étant le dernier survivant ? Je ne lui ai pas dit qu'il était en train d'anéantir tout mes efforts mentaux, mon anglais n'étant pas violent... Je n'avais pas la force de m’entraîner à un exercice de langue. Mon silence fut interprété par un non et à mon grand désarroi il commença à me raconter l'histoire d'un survivant.. Heureusement, je venais de ruiner un 3ème crampon. On marchait, coincé entre la roche et les fourrés remplis de ronce, mon cerveau ne faisait plus la traduction et mes neurones tournaient à vide lorsque le mouvement du câble au dessus de ma tête se mis a cligner dans mon champ de vision. Et je compris que ce n'était pas un pigeon quand le pylône tout entier s'est mis à trembler. Ni une ni deux, mon binôme se retourne, m'attrape et m'accompagne pour ne pas dire me jette à plat dos dans les ronces. On aurait pu voir un semblant de romantisme, mais il n'y avait pas de rose au bout des ronces.. Une demi seconde plus tard, un train de marchandise à grande vitesse (TMGV) déboulait à quelques centimètres de nous. Le souffle coupé par la rafale, les tympans abasourdis par le bruit des rails, je recommençai à respirer seulement quelques dizaines de seconde après son passage. The survivor à mes côtés se leva et lâcha un "Wouuuhoouuuuuu", un peu comme dans le Titanic lorsque Leonardo ne sait pas encore qu'il va bientôt heurter un iceberg... .En france, grâce à la SNCF, on sait qu'un train peut en cacher un autre alors qu'en République Tchèque, ils ne sont peut être pas encore au courant. Il m'aida à me relever, après avoir repris pleinement conscience de mes épaules, hanches, lombaires, j'ai repri la route avec une nouvelle motivation : quitter au plus vite les rails. On a fini par sortir de cette faille et trouver un chemin à côté de la voie ferrée.. Je posa "délicatement" ma voile au sol, pour ne pas dire que j'ai testé la résistance de mon sac au choc, juste temps de respirer et d'apercevoir la civilisation au loin.
C'était le début de la fin. Droit à travers champ, un canal nous barrait la route, un petit détour d'un kilomètre s'imposait avant d'atteindre notre but.

Le futur s'ouvrait de nouveau à nous.. Allongé au bord de la route, à côté d'un étang, on attendait la récup devant un couché de soleil... Heureux, autant que 2 pilotes au goal..

Quand on entend "Championnat du Monde", "PWC", on ne s'attend pas vraiment à ça. Et pourtant, c'est le jeux. Un jeux dangereux ? Ce qui fait peur à mes proches, à ma mère plus particulièrement quand les mots "parapente" "compétition" "barreaux" sont énoncées, c'est le risque d'incident de vol.. Alors je ne sais pas si je vais la rassurer avec ce récit, où lui donner la possibilité de relativiser. Mais ce que je sais, c'est que le père Noël risque bien de m'apporter une balise de tracking GPS...

Toujours en Bulgarie, quelques jours plus tard, je réalisais une manche avec la même issue, sauf que pour corser la difficulté, j'ai opté pour une clairière en altitude. Après m'être étalé de mon long, entre herbe et arbuste, dans ce petit champ déventé, je fus prise d'une envie de bronzer. Enfin l'envie de bronzer, c'est un peu comme les crampons, c'est juste pour oublier quelques instants que je viens de me vacher au sommet d'une montagne où il ne semble pas y a voir d'accès routier...

Cette fois çi, c'est décidé, je ne bouge pas ! Je campe ici et j'attends qu'on vienne me chercher, peu importe, je ne crains pas la solitude, j'ai 10 litres d'eau, 2 pompotes, 1 boulette de riz, je peux tenir au moins... 3 minutes. 3 minutes avant que j'envois mon état d'âme à mon autre. Une demi heure après, une fois avoir repris la raison ou plutôt que la raison m'ai repris : j'envoie mes coordonnées au médecin en charge de la récup qui me confirme qu'il n'y a pas de chemin carrossable pour venir me chercher. Dans le doute, je prends le sens de la descente avant de recevoir un sms en provenance de France du type : je serai toi, j'aurai pris dans l'autre sens.. C'est fou ces livetrackers. Pendant un bref instant, j'ai envie de le jeter. Comme un gosse qui fait un caca nerveux quand il n'arrive pas à ses fins mais refuse toute aide. Je remonte péniblement en cherchant à atteindre un éventuel point de vue au sommet puis m'allonge sur le côté, ruinée, cherchant a décaler l'échéance.Mes pulsions enfantines reviennent, je m'en fou, je vais mourir ici, mangée par les ours, tant pis..
Un bruit de moteur me sort de mes délires. 2 motards sortis tout droit des années 50 me passent devant à la vitesse de deux limaces embourbées. Ils me regardent, je me lève. Quelques mètres nous séparent, si je pars en courant dans la forêt, vu leur gabarit, j'ai peut être une chance de m'en sortir.. Mais j'ai quand même envie de savoir à quelle sauce je vais me faire manger ? En face de moi, un vieille homme, borgne, un foulard sur la tête et son compère, 2m10, 120 kilos, un cou de toro... Vous connaissez les concours de l'homme le plus fort du monde ? Où les "athlètes" doivent soulever des troncs, balancer des briques, tirer un tracteur.. et où le gagnant vient souvent des pays de l'Est ? J'ai peut être en face de moi un champion.. Le temps que je me pose la question, il attrape ma voile comme je soulève ma tasse de café au réveil puis la repose. Je regarde dans le ciel, à la recherche d'un parapentiste qui pourrait m'aider à expliquer d'où je viens. Mais non, personne pour m'aider, ces égoïstes de compétiteur en on que pour le goal !
Il lance une phrase en Bulgare. Avec peu d'espoir, je tente un "Do you speak english?". Ils rigolent. Ca doit vouloir dire non. Où alors.. Et merde, je passe pour une américaine, et les américains c'est ceux qui viennent tester les avions de chasse et missiles en tout genre dans la plaine de Sopot... ça commence bien !
On se lance dans la danse des sourds et muets afin d'essayer de faire comprendre nos intérêts respectifs, enfin surtout le mien.. Apeuré mais n'ayant pas d'autres solutions, je fini par monter sur la moto du costaud avec ma voile sur le dos. On prend le sens de la descente, au premier faut plat montant, la moto cale... Le deuxième motard prend ma voile, je prends son sac à dos et nous repartons. Ma voile tangue sur le dos du motard, jusqu'à ce qu'elle le fasse tomber dans un virage serré, l'essence fuit de la bécane qui elle même toussote.. Y'a plus de doute, je vais me faire flinguer, ils vont me noyer avec le reste d'essence contenu dans le réservoir ! "Je suis Française".. on s'est jamais, il fallait le placer, ça peut me sauver. Encore une fois ils rigolent. Je crois que j'ai vraiment rien à craindre d'eux.
Mon téléphone sonne : "Allo Docteur"... Le docteur est chez des habitants, il boit le café, qui semble être un délice accompagné de quelques spécialités Bulgare sucrées. Bref, la bonne nouvelle, c'est que la petite fille des habitants parle anglais.. s'en suit un passe passe au téléphone entre traduction et incompréhension pour savoir où je vais atterrir.
On reprend la route, je sympathise avec mon conducteur. Il a quelques mots d'anglais dans son vocabulaire, et je comprends qu'il est le maire du village. Après plus d'une bonne heure de motocross à travers chemin et champ, j'ai les adducteurs en feu, l'arrivée au village est un soulagement. Le doc est là. Il sort de la voiture avec deux bouteilles d'alcool local, en propose une à mes sauveurs, l'autre à moi... J'ai envie de lui verser sur la tête. Je monte dans la voiture, allonge le siège, je suis exténuée. Il ne faut pas me parler. De retour à Sopot, je passe decharger mon GPS au PC, rentre à la maison, me faufile pour ne pas croiser Didier... ce serait trop dur d'avouer qu'aujourd’hui, j'ai encore performé !

Rencontres.

Quand j'y repense, c'est avec le sourire, car ce sont des souvenirs tout de même drôle même si sur le moment, je ne rigolais pas vraiment.

Au final, je crois que ce sont aussi ces anecdotes qui me plaisent en parapente, le vol et l’après vol, pas la bière que savent si bien partager les parapentistes après un vol ou une manche de compet', mais ces rencontres inattendues, parfois épineuses au premier abord, toujours exceptionnelles.

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